La passion qui enflamme, qui brûle, qui nous nie. « Aimer à perdre la raison, à n’avoir plus d’autre horizon ». On y a tous cédé, certains plus que d’autres. Lorsque l’égo s’efface, qu’on se transforme en monstre, un corps double et difforme, fusion succincte ; qui peut maintenir ce phénomène ? Cocktail d’hormones, bien trop dosées.
Ce qu’en Occident on glorifie, qui fait pleurer lecteurs et écrivains depuis qu’on écrit des romans, Ô Yseut, Ô Juliette, cet amour que vous avez ressenti, le feu dans vos entrailles quand Tristan approchait, ce feu-là, valait-il vraiment votre trop courte vie ? Ou fut-ce seulement la braise d’un amour déjà mort ?
Qu’auriez-vous pu trouver si vous aviez vécu ?
Un quatorze juillet, devant les portes du Jardin Luxembourg, tu portais une robe rouge et volante, et je t’ai demandé, les mains moites et le corps hésitant, si je pouvais baiser tes lèvres dessinées, et nos corps rapprochés, et nous nous sommes aimés. Nous nous aimons depuis, contre le monde qui change, contre nos corps qui changent, contre les guerres et autres pandémies, contre tous ces français qui hurlent identités, contre toutes tes colères et contre mes faiblesses.
Seras-tu ma Juliette ? Serai-je ton Roméo ?
Je préfère vivre vieux ; et me blottir encore contre ton corps tout chaud, un matin, devançant les réveils. Et entendre longtemps le rire de nos enfants.
Mais comment dire dans cette antique nation, qui a tellement écrit, qui a tellement vibré, qui a rêvé peut-être de vivre une nuit la vie de ces amants maudits ; que mon amour pour toi est plus fort et meilleur.
Alors oui cet amour il est sage ; et l’époque ne l’est pas.
Tu penses peut-être que j’ai décidé de t’aimer, comme on décide d’un projet, d’une direction. Et que par-là, j’aurais pu choisir d’en aimer une autre, te rendant remplaçable, blessant ta singularité.
Ça n’est pas ça aimer sagement. On voit maintenant les sages comme des moines impassibles, quand je ne suis qu’un corps, qu’une sensibilité. Tu n’es pas remplaçable et si j’ai décidé ce n’est pas de t’aimer.
Tu me fais vibrer toujours, quand je te vois heureuse, quand tu ris enivrée dans la foule extatique qui reprend un refrain de tes jeunes années.
Tu me fais vibrer toujours quand ton corps alangui respire le sommeil et que je te regarde, et qu’enfin je m’endors.
Tu me fais vibrer toujours quand tes punchlines jaillissent et écrasent mes doutes et me disent où aller sans encore hésiter.
Tu me fais vibrer dans tes robes d’été ou tes denims serrés, tes petits shorts gonflés ou tes peaux synthétiques de yogi du dimanche.
Tu me fais vibrer quand s’échappe l’émotion, et ton regard humide, quand tu te sens flouée, injustices blessantes que tu portes si haut, je voudrais tellement ces jours-là savoir pleurer comme toi, t’enfouir dans mes bras et trouver les mots justes qui vont te consoler.
Tu me fais vibrer quand tu me dis mes fautes, eh, qui d’autre sinon toi, pour se dresser devant moi ?
Tu me fais vibrer encore quand je cède nostalgique et ouvre les photos de ton ventre tout rond qui porte l’enfant à naitre, le nôtre.
Tu me fais vibrer encore quand je te vois partir, apprêtée pour les autres, qui ne sont que travail, et que je te vois belle.
Tu me fais vibrer encore quand ma vie au futur, accroché bien trop tard à ce clavier-écran je t’entends rire aux larmes et que mon sourire monte.
Aimer sagement c’est simplement ressentir que je te veux toi à mes côtés, le plus longtemps possible, sans me brûler dedans, au contraire me trouver moi vraiment, te regarder changer aussi, et demeurer toi et moi, deux amoureux distincts, communs, conjoints.